Le MPF rejette la demande visant à interdire les concerts de Roger Waters au Brésil
Pour l’institution, les performances artistiques du chanteur britannique sont protégées par la liberté d’expression
Ricardo Motta
9/21/20234 min read


Le Ministère public fédéral (MPF), par l’intermédiaire du Bureau régional pour les droits du citoyen à Rio de Janeiro, a rejeté une plainte déposée par des avocats qui cherchaient à empêcher le chanteur Roger Waters, ancien membre du groupe britannique Pink Floyd, de se produire au Brésil.
La demande était motivée par une prestation du musicien en Allemagne, en mai, au cours de laquelle des symboles liés au nazisme ont été utilisés.
Pour le MPF, toutefois, ces symboles ont été employés dans un but critique, et non pour soutenir le régime nazi. L’organisme a estimé que les mesures demandées étaient disproportionnées, les manifestations du chanteur étant protégées par la liberté d’expression.
Les auteurs de la plainte demandaient au MPF d’adopter des mesures pour empêcher l’entrée de Waters au Brésil et annuler la tournée prévue dans plusieurs villes du pays en octobre et novembre. Leur objectif déclaré était d’éviter la propagation de discours haineux contre les Juifs et favorables au nazisme.
Ils alléguaient que le chanteur avait commis un crime contre l’humanité en Allemagne, ce qui permettrait d’appliquer l’article 45 de la Loi sur la migration pour interdire son entrée. À titre subsidiaire, ils demandaient la présence de la police fédérale et militaire lors des concerts, afin de permettre une arrestation en cas de délit flagrant.
Pour les procureurs régionaux Jaime Mitropoulos, Julio José Araújo Junior et Aline Caixeta, tout discours de haine doit effectivement être combattu, car il constitue un facteur de risque de crimes de masse, tels que les crimes contre l’humanité et le génocide.
Cependant, dans le cas analysé, ils ont estimé que les déclarations et mises en scène de Waters relèvent du droit constitutionnel à la liberté d’expression. Selon eux, la finalité du spectacle est de dénoncer le fascisme et l’autoritarisme, et non de les promouvoir.
« Hors de leur contexte, les images de Waters portant un uniforme et un brassard évoquant des symboles nazis pourraient laisser croire qu’il soutient les régimes autoritaires et la persécution du peuple juif. Toutefois, replacées dans le contexte du spectacle et de la trajectoire politique de l’artiste, elles s’avèrent être une critique explicite de ces idéologies », concluent-ils.
Les procureurs citent des précédents de la Cour suprême fédérale (STF) rappelant que la liberté d’expression artistique couvre même des représentations jugées inappropriées ou de mauvais goût par certains publics, sans que cela justifie de restreindre un droit fondamental.
« La liberté d’expression permet de critiquer Waters pour ses méthodes ou ses choix artistiques, mais non de le censurer pour sa manière de penser », précise le document.
Censure préalable - Pour le MPF, accéder aux demandes formulées dans la plainte reviendrait à pratiquer une censure préalable, interdite par la législation brésilienne.
L’expression artistique ne peut être interdite sans compromettre les valeurs d’une société démocratique et pluraliste.
Les procureurs rappellent que l’État n’a pas à décider des expressions artistiques auxquelles la population peut ou non avoir accès.
« Dans une démocratie, les citoyens possèdent la capacité critique et le droit à l’autodétermination : à eux de choisir le contenu qu’ils souhaitent consommer et la réaction qu’ils y apportent », affirment-ils.
Le MPF souligne également que, pour des spectacles de cette envergure, la présence policière est habituelle et permet d’intervenir immédiatement en cas de délit. Une copie du dossier a été transmise à la section pénale du MPF pour évaluation complémentaire.
Le précédent Mayhem - Les plaignants ont cité en exemple le cas du groupe norvégien Mayhem, interdit de se produire au Brésil en raison de manifestations néonazies, discriminatoires et racistes, ainsi que de l’implication présumée de ses membres dans des crimes. À l’époque, le MPF était intervenu pour recommander la révocation de l’autorisation du concert.
Les procureurs en charge du dossier Waters soulignent toutefois une différence fondamentale entre les deux cas : alors que le chanteur britannique utilise des symboles nazis pour les dénoncer, les membres de Mayhem étaient directement liés à des actes criminels, tels que l’incendie d’églises, le cannibalisme, l’homicide, l’incitation au suicide et la propagation de mouvements haineux.
Contexte de l’affaire - Lors d’un concert de la tournée This is Not a Drill, le 17 mai à Berlin, Roger Waters aurait porté un costume rappelant celui des officiers de la SS, avec un brassard rouge évoquant le régime autoritaire.
Dans le cadre de la mise en scène, il aurait simulé des tirs sur le public avec une fausse mitrailleuse et fait apparaître des ballons en forme de cochons ornés de symboles de l’étoile de David.
Selon la presse allemande, il aurait également projeté sur un grand écran les noms de personnes tuées par le régime totalitaire.
L’artiste doit se produire dans les deux prochains mois à Brasília (DF), Rio de Janeiro (RJ), Porto Alegre (RS), Curitiba (PR), Belo Horizonte (MG) et São Paulo (SP).